vendredi 8 mars 2013
LA LETTRE DES VRAIS MUSULMANS TUNISIENS AUX FEMMES
À vous toutes, femmes du monde entier,
Notre salut le plus cordial !
C'est à chacune d'entre vous que j'adresse cette lettre en signe de partage et de gratitude, alors qu'on vient de fêter la Journée mondiale de la femme, la semaine dernière.
On voudrait dire tout d'abord à l'Organisation des Nations Unies, à la société civile et à tous ceux qui ont fêté la femme, que le monde musulman participe avec l'humanité toute entière la visée et les objectifs de la célébration de cette journée. Le Monde musulman entend bien apporter, lui aussi, sa contribution à la défense de la dignité, du rôle et des droits des femmes, non seulement par son apport dans le cadre d'une relecture moderne, pour une contribution à la culture humaine et théologique, mais aussi en parlant directement au cœur et à l'esprit de toutes les femmes.
Notre Message à ce sujet, c'est un message qui, au-delà de l'évènement précis qui l'a inspiré, s'ouvre à la perspective plus générale de la réalité et des problèmes de l'ensemble des femmes, se mettant au service de leur cause dans le monde musulman contemporain.
On voudrait maintenant nous adresser directement à chacune des femmes pour réfléchir avec elles sur les problèmes et les perspectives de la condition féminine en notre temps, on s'arrêtant en particulier sur le thème essentiel de la dignité et des droits des femmes, vus à la lumière de la Parole de Dieu.
Le merci adressé au Seigneur pour son dessein sur la vocation et la mission de la femme dans le monde devient aussi un merci concret et direct aux femmes, à chacune des femmes, pour ce qu'elles représentent dans la vie de l'humanité.
Merci à toi, femme-mère, qui accueilles en ton sein l'être humain dans la joie et dans la peine d'une expérience unique par laquelle tu deviens sourire de Dieu pour l'enfant qui vient au monde, tu deviens le guide de ses premiers pas, le soutien de sa croissance, puis le point de repère sur le chemin de sa vie.
Merci à toi, femme-épouse, qui unis d'une façon irrévocable ton destin à celui d'un homme, dans une relation de don réciproque, au service de la communion et de la vie.
Merci à toi, femme-fille et femme-sœur, qui apportes au foyer familial puis dans le complexe de la vie sociale les richesses de ta sensibilité, de ton intuition, de ta générosité et de ta constance.
Merci à toi, femme-au-travail, engagée dans tous les secteurs de la vie sociale, économique, culturelle, artistique, politique, pour ta contribution irremplaçable à l'élaboration d'une culture qui puisse allier la raison et le sentiment, à une conception de la vie toujours ouverte au sens du « mystère », à l'édification de structures économiques et politiques humainement plus riches.
Merci à toi, femme, pour le seul fait d'être femme! Par la perception propre à ta féminité, tu enrichis la compréhension du monde et tu contribues à la pleine vérité des relations humaines.
Mais, on le sait, le merci ne suffit pas. Nous avons malheureusement hérité d'une histoire de très forts conditionnements qui, en tout temps et en tout lieu, ont rendu difficile le chemin de la femme, fait méconnaître sa dignité, dénaturer ses prérogatives, l'ont souvent marginalisée et même réduite en esclavage. Tout cela l'a empêchée d'être totalement elle-même et a privé l'humanité entière d'authentiques richesses spirituelles, intellectuelles et matérielles. Il ne serait certes pas facile de déterminer des responsabilités précises, étant donné le poids des sédimentations culturelles qui, au cours des siècles, ont formé les mentalités et les institutions. Mais si, dans ce domaine, on ne peut nier, surtout dans certains contextes historiques, la responsabilité objective de nombreux courants et de nombreux adeptes de la religion musulmane, on le regrette sincèrement. Puisse ce regret se traduire, pour tous les musulmans contemporain, par un effort de fidélité renouvelée à l'inspiration libératrice de notre sublime religion qui, précisément sur le thème de la libération de la femme par rapport à toute forme d'injustice et de domination, contient un message d'une permanente actualité venant de l'attitude même du Prophète Mohamed (SAAWS) .Celui-ci, dépassant les normes en vigueur dans la culture de son temps, eut à l'égard des femmes une attitude d'ouverture, de respect, d'accueil, de tendresse. Il honorait ainsi chez la femme la dignité qu'elle a toujours eue. En nous tournant vers lui en ce début du deuxième millénaire, nous nous demandons spontanément à quel point son message a été reçu et mis en pratique.
Oui, il est temps de regarder avec le courage de la mémoire et la sincère reconnaissance des responsabilités la longue histoire de l'humanité, à laquelle les femmes ont apporté une contribution qui n'est pas inférieure à celle des hommes, et la plupart du temps dans des conditions bien plus difficiles. On pense en particulier aux femmes qui ont aimé la culture et l'art, et qui s'y sont consacrées en partant de situations désavantageuses, exclues qu'elles étaient bien souvent d'une éducation égale à celle des hommes, exposées à être sous-estimées, à voir leur apport intellectuel méconnu ou même à en être dépossédées. Malheureusement, de cette multiple activité des femmes dans l'histoire, il reste très peu de choses qui puissent être enregistrées par les instruments de l'historiographie scientifique. Mais par chance, si le temps a enseveli les documents qui en portent la trace, il est impossible de ne pas en sentir les effets bénéfiques dans la sève dont furent nourries les générations qui se sont succédé jusqu'à nous.
L'humanité a une dette incalculable à l'égard de cette grande, immense, « tradition » féminine. Combien de femmes ont été et sont encore jugées sur leur aspect physique plus que sur leur compétence, leur valeur professionnelle, leur activité intellectuelle, la richesse de leur sensibilité et, en définitive, sur la dignité même de leur être!
Et que dire des obstacles qui, en de nombreuses parties du monde, empêchent encore les femmes de s'intégrer pleinement dans la vie sociale, politique et économique? Il suffit de penser que le don de la maternité est plus souvent pénalisé qu'il n'est estimé, alors que l'humanité lui doit sa propre survie. Et bien que les seules avancées enregistrées en ce domaine, restent inachevées et confinées aux seules pays de la Tunisie et de la Turquie et dans une moindre mesure au niveau du Maroc et de l'Algérie, ces avancées sont aujourd'hui, plus que jamais, fragilisées voir même menacées de régression alors qu'il reste encore beaucoup à faire pour que la condition de femme et de mère n'entraîne aucune discrimination.
Il est urgent d'obtenir partout l'égalité effective des droits de la personne et donc la parité des salaires pour un travail égal, la protection des mères qui travaillent, un juste avancement dans la carrière, l'égalité des époux dans le droit de la famille, la reconnaissance de tout ce qui est lié aux droits et aux devoirs du citoyen dans un régime démocratique.
Il s'agit là d'un acte de justice, mais aussi d'une nécessité. Dans la politique à venir, les femmes seront toujours plus impliquées dans les graves problèmes actuellement débattus: libertés individuelles, justice sociale, chômage et emploi, démocratie, développement régional, écologie et développement durable, droit à vie, droit à la dignité, santé et soins, éducation et enseignement, qualité de la vie, migrations, services sociaux, euthanasie, drogue, etc. Dans tous ces domaines, une plus forte présence politique, économique et sociale de la femme s'avérera précieuse, car elle contribuera à manifester les contradictions dans l'organisation de la société et elle obligera à redéfinir les systèmes, au bénéfice des processus d'humanisation, de responsabilisation, de respect et d'efficience.
En considérant l'un des aspects les plus délicats de la situation des femmes dans le monde, comment ne pas rappeler la longue et humiliante histoire — fréquemment « souterraine » — d'abus commis à l'encontre des femmes dans le domaine de la sexualité? Nous ne pouvons rester impassibles face à ce phénomène, ni nous y résigner. Il est important de le condamner avec force, en suscitant la mise en place d'instruments législatifs appropriés de défense, les formes de violence sexuelle qui ont bien souvent les femmes pour objet.
Au nom du respect de la personne, nous ne pouvons pas non plus ne pas dénoncer la culture hédoniste et mercantile fort répandue qui prône l'exploitation systématique de la sexualité, poussant même les filles dès leur plus jeune âge à tomber dans les circuits de la corruption et à faire de leur corps une marchandise.
En face de telles perversions, quelle estime ne méritent pas, au contraire, les femmes qui, avec un amour héroïque pour leur enfant, poursuivent une grossesse liée à l'injustice de rapports sexuels imposés par la force, et cela non seulement dans le cadre des atrocités qui se rencontrent malheureusement dans le monde, mais aussi dans des sociétés à tendance machiste agressif !
Notre merci aux femmes prend donc la forme d'un appel pressant pour que tous, en particulier les États et les institutions internationales, fassent ce qu'il faut pour redonner aux femmes le plein respect de leur dignité et de leur rôle. A ce sujet, nous manifestons notre admiration pour les femmes de bonne volonté qui se sont consacrées à la défense de la dignité de la condition féminine par la conquête de droits fondamentaux sur les plans social, économique et politique, et qui ont pris et continue de prendre courageusement cette initiative quand cet engagement de leur part était, et est pour certains, considéré comme un acte de transgression, un signe de manque de féminité, une manifestation d'exhibitionnisme, voire un péché !
En considérant ce grand processus de libération de la femme, on peut dire que cette voie « a été difficile et complexe, non sans erreurs parfois, mais positive pour l'essentiel, même si elle reste encore inachevée à cause des nombreux obstacles qui empêchent, en bien des régions du monde, que la femme soit reconnue, respectée et valorisée dans sa dignité propre.
Il faut persévérer dans cette voie ! Toutefois, nous sommes convaincu que le secret pour parcourir rapidement le chemin du plein respect de l'identité féminine ne passe pas seulement par la dénonciation, pour nécessaire qu'elle soit, des discriminations et des injustices, mais encore et surtout par un projet de promotion aussi efficace qu'éclairé, qui concerne tous les domaines de la vie féminine, en partant d'une prise de conscience renouvelée et universelle de la dignité de la femme. La raison elle- même, qui accepte la loi de Dieu inscrite au cœur de tout homme, nous porte à reconnaître cette dignité malgré ses multiples conditionnements historiques.
En règle générale, le progrès est évalué selon des catégories scientifiques et techniques, et, de ce point de vue, la contribution de la femme n'est pas négligeable. Cependant, ce n'est pas là l'unique dimension du progrès. La dimension éthique et sociale, qui marque les relations humaines et les valeurs de l'esprit, paraît plus importante: dans cette dimension, souvent développée sans bruit à partir des relations quotidiennes entre les personnes, spécialement à l'intérieur de la famille, c'est précisément au « génie de la femme » que la société est en grande partie débitrice. Vraiment grande est l'importance de ce que doivent à l'apport des femmes les différents secteurs de la société, les États, les cultures nationales et, en définitive, le progrès du genre humain tout entier!
À ce propos, nous voudrions exprimer une gratitude particulière aux femmes engagées dans les secteurs les plus divers de l'activité éducative, bien au-delà de la famille: jardins d'enfants, écoles, universités, services sociaux, associations et mouvements. Partout où existe la nécessité d'un travail de formation, on peut constater l'immense disponibilité des femmes qui se dépensent dans les relations humaines, spécialement en faveur des plus faibles et de ceux qui sont sans défense. Dans cette action, elles accomplissent une forme de maternité affective, culturelle et spirituelle, d'une valeur vraiment inestimable pour les effets qu'elle a sur le développement de la personne et sur l'avenir de la société. Comment ne pas avoir un sentiment de reconnaissance à l'égard de toutes les femmes qui ont œuvré et qui continuent à œuvrer dans le domaine de la santé, non seulement dans le cadre des institutions de santé les mieux organisées, mais souvent dans des circonstances très précaires, dans les pays les plus pauvres du monde, donnant un témoignage de disponibilité qui frôle souvent le martyre?
On souhaite donc, chères sœurs, que l'on réfléchisse avec une attention particulière sur le thème du « génie de la femme », pour lui faire plus de place dans l'ensemble de la vie sociale.
Que Dieu le miséricordieux, veille sur les femmes et sur leur mission au service de l'humanité et de la paix !
Reprise et adaptation du discours de Jean Paul II, tiré d'un texte du Vatican, du 29 juin 1995, solennité des saints Apôtres Pierre et Paul.
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